MARCEL (SAINT-)



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



MARCEL (SAINT-)



MARCEL (SAINT-). - Sa population est de 479 individus. Il est entre Marsanne et Montélimar, et son territoire, arrosé en sens divers par des canaux tirés du Roubion, est généralement fertile.
L'origine de ce village se perd dans la nuit des temps. Il paraît que sous la domination romaine il portait le nom de Félines, et il est vraisemblable qu'il fut ainsi appelé de quelque oratoire consacré à Fellenius, que l'antiquité payenne invoquait contre les aquilons. Il est remarquable que plusieurs autres lieux qui, comme Saint-Marcel, sont exposés à la violence des vents, portent aussi le nom de Félines. Il le quitta dans les premières années du Xme siècle, pour prendre celui de Saint Marcel, patron d'un monastère de l'ordre de Saint Benoit, dont les uns attribuent la fondation à Charlemagne et les autres à un comte de Poitiers.
Le 5 juillet 985, Lambert, de cette famille des Poitiers, fit au monastère de Saint-Marcel une libéralité considérable, et c'est par l'acte de cette donation qu'on voit que ce lieu portait autrefois le nom de Félines. La donation est mentionnée dans l'Histoire abrégée du Dauphiné, par Chorier, tome I, page 81. Elle est transcrite à la suite de cette notice comme un monument curieux de la manière de stipuler de ces temps-là, et de l'influence extrême que les idées religieuses exerçaient alors sur les actes même de la vie civile.
On apprend par un autre acte de l'année 1037 que, de concert avec sa femme et ses enfans, le comte Adhémar, fils de Lambert, vendit, moyennant 10 onces d'or, à Saint Odile, abbé de Cluny, et à ses religieux, le prieuré de Saint-Marcel, avec tout son territoire. Cette abbaye qui jouissait de tous les droits consacrés par la féodalité, et surtout du droit de juridiction, s'en servit souvent au préjudice des malheureux vassaux qu'elle aurait dû protéger. On lit à ce sujet, dans un recueil des principaux actes du monastère, des détails d'autant plus dignes de foi, que ce recueil est l'ouvrage d'un des religieux.
L'abbaye a duré jusqu'à la révolution. Les bâtimens sont aujourd'hui la propriété de M. Sautayra.
Le canal du Roubion, qui en traverse l'enclos, présente de grandes facilités pour l'établissement de fabriques et d'usines. Elles ne pourraient être mieux placées, soit à cause du voisinage de Montélimar et de la route départementale de cette ville à Vienne par Crest, Romans et Beaurepaire, passant par Saint-Marcel, soit par la proximité du Rhône et de la grande route de Lyon à Marseille.
On remarque à Saint-Marcel l'église de l'ancienne abbaye, qui sert maintenant d'église paroissiale. Elle est beaucoup plus grande que ne le comporte la population du lieu ; elle a trois nefs et n'a jamais été finie. Le portail est orné de sculptures d'un très bon goût. C'est une des églises monumentales du département.
On déterre fréquemment des tombeaux antiques dans la cour de l'ancien prieuré, et surtout dans la partie qui avoisine l'église. Dans diverses fouilles faites au nord de l'église, on a trouvé aussi une grande quantité d'ossemens.
Donation faite aux religieux de Saint-Marcel en l'année 985.
Tandis que nous sommes dans le pénible pélerinage de ce monde, et que le temps paraît favorable pour travailler à l'importante affaire de notre salut, nous avons cru devoir, puisque nous avons le temps de faire quelques bonnes oeuvres, le faire promptement et sans aucune prédilection. Dans cette pensée, nous avons établi héritiers ceux que nous avons reconnu travailler véritablement au salut de nos corps, et que nous croyons fermement devoir être à l'avenir les juges des ames ; car, comme nous ne pouvons faire aucun bien après notre mort, nous avons cru, avant que d'être conduits au terrible et incomparable jugement de Dieu vivant, devoir travailler à satisfaire à sa justice pour toutes les fautes que nous avons commises, ou dans les sacremens de pénitence ou par notre négligence ; c'est pourquoi, moi Lambert et ma femme Faletrude, à cause de l'énormité de nos crimes, considérant combien il est doux au jour de la vengeance du Seigneur d'entendre ces consolantes paroles : « Venez, les bénis de mon père, prendre possession du royaume qui vous est préparé dès le commencement de ce monde. » Enfin, le ministre nous dit : « Donnez l'aumône, et tous vos péchés vous seront remis. » Et ailleurs : « Les richesses des hommes sont la rédemption de leur ame. » C'est pourquoi, moi Lambert et ma femme Faletrude donnons une partie de nos biens au Seigneur, à Saint Marcel et à ses moines, qui sont Audoin et Durand, et à ceux qui viendront habiter le lieu de Saint-Marcel pour y vivre en commun. Nous donnons pour prier pour le repos de nos ames, pour celles de nos enfans Admard et Lambert, pour tous nos parens tant vivans que trépassés, dans l'intention que l'église de Saint-Marcel soit rétablie et qu'on y construise un monastère ; que l'église ni le lieu même ne soient sujets à qui que ce soit, sinon à Saint Pierre, le premier des apôtres ; qu'en tout temps les religieux qui habiteront le lieu de Saint-Marcel pendant l'espace de cinq ans paient pour tout cens à Rome la somme de cinq sols ; qu'on ne reçoive aucun abbé dans le lieu de Saint-Marcel, qu'on nomme Félines, qui ne suive la règle de Saint Benoit et ne vive selon elle, et qu'aucun moine n'y habite qui ne vive en commun ; car, si quelqu'un, ou par or ou par argent, ou par quelqu'autre raison, voulait envoyer un abbé dans le lieu de Saint-Marcel, fasse le ciel que tous les saints lui soient contraires, et que le grand Saint Benoit, avec toute la troupe des saints religieux de son ordre, se déclarent contre lui devant le Seigneur, s'il se charge de cette dignité ! car pour moi Lambert et ma femme, indignes pécheurs, ne désirons l'exécution de cette donation ni pour l'or ni pour l'argent, mais uniquement que pour le secours de leurs prières et celles des religieux qui habiteront ledit lieu, afin que Dieu, par sa miséricorde, veuille bien nous délivrer des peines de l'enfer et nous faire participans de son royaume.
Tous les fonds de la susdite donation, qui sont situés dans le comté de Valence, consistant en ce qui suit, savoir : en une montagne appelée Avalanche, et une autre montagne appelée Demi-Lune, consistant en vignes, champs, prés, pâquiers, bois, eaux et cours des eaux, petite maison, castel, maison édifice, et avec tout ce que dessus meubles et immeubles, entrée et sortie, cultes et incultes, tout enfin ce qu'on peut désirer pour la possession et l'aspect, tel que je le tiens et possède actuellement, ou que j'espère l'acquérir dans la suite avec intégrité et de bon droit, nous donnons par donation d'entre vifs et à jamais irrévocable au Seigneur et à Saint Marcel, comme nous l'avons déjà dit ci-dessus, pour la subsistance et l'entretien des moines, pour exercer l'hospitalité et recevoir les pélerins et orphelins qui serviront dans le lieu sous la règle de notre bienheureux père Saint Benoit, pour le soulagement de mon ame, celle de mon père Bantare, pour ma mère Ermanjarde, pour celle de ma femme Faletrude et pour mes fils Admard et Lambert, pour le repos de tous nos amis, tant clercs que laïques, enfin pour le salut de tous les fidèles, tant vivans que trépassés, afin que leurs prières, jointes aux nôtres, nous servent au jour de vengeance du Seigneur.
Ladite hoirie a pour limites des deux côtés un ruisseau appelé Merdarie, avec sa garenne, et l'eau qu'on appelle Roubion, qui se viennent joindre ensemble, d'un autre côté un ruisseau courant et un ancien mur appelé ...., et de l'autre côté un chemin public jusqu'au bois et jusqu'au dit ruisseau appelé Merdarie. Et si, par aventure, quelqu'un, à l'avenir, ce que nous ne croyons pas, ou nous-mêmes, ce qu'à Dieu ne plaise ! ou de nos parens ou neveux, ou quelques autres personnes entremises, s'avisaient de vouloir contredire ou retirer dans la présente donation que nous avons faite de notre pleine volonté et après sérieuses réflexions faites, ou qui voulussent s'en emparer, quoique chose donnée au Seigneur et à Saint Marcel, nous supplions le Très-Haut de leur faire encourir sa haine et son indignation : quiconque osera l'entreprendre, qu'il soit anathême ! et si tels ne rentrent dans leur devoir, qu'ils ne se repentent de leurs fautes, qu'ils subissent les mêmes peines et la damnation de Judas, qui vendit le précieux sang de J. C. ! qu'ils ne soient pas plus épargnés que Dathan et Abiron, qui furent engloutis tout vivans dans le centre de la terre ! qu'ils soient comme ceux qui diraient au Seigneur : « Retirez-vous de nous ! » que le temps de leur vie soit rempli de malédictions, soit qu'ils soient à la ville, à la campagne, à la maison, en chemin, ou en quelque lieu qu'ils habitent ! maudit soit leur corps ! maudits soient les fruits de leur ventre et de leurs terres ! maudits soient-ils en y entrant et en sortant ! que le Seigneur leur envoie la peste et la famine ! que les oeuvres de leurs mains soient maudites, pour s'être élevées contre le Seigneur en s'emparant des choses qui lui auraient été consacrées ! que Dieu les afflige des plus mauvais ulcères, de la gale et de démangeaison de la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête ! qu'ils soient accablés par la calomnie et la violence, et qu'il n'y ait personne qui les délivre de tous ces supplices ! et que tous ceux qui auraient donné quelque consentement soient à jamais précipités dans le feu éternel, et essuient toutes les malédictions qui sont renfermées dans les premières écritures ! qu'elles tombent pour jamais sur leurs têtes ! Amen ! amen ! fiat ! fiat ! S'ils ne se corrigent enfin, moi Lambert et ma femme Faletrude invoquons Sainte Marie, mère de Dieu, les douze apôtres de Notre-Seigneur J. C., Saints Pierre, Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemi, Mathieu, Simon, Thadée, les prenons pour témoins de la présente donation, afin que si quelqu'un était assez hardi et téméraire pour la violer, que tous les saints apôtres et tous les saints du ciel soient contre eux au jour du jugement s'ils ne changent.
Le présent acte signé par moi Lambert et ma femme Faletrude, que nous avons priée d'écrire et confirmer la présente donation. - Signé Admard et Lambert, fils du susdit donateur ; Ramond ; Frujon, son frêre ; André, prêtre ; Ricard, son valet, et Ricard, fils du sieur Lambert ; Lagoufois de Ramand ; Peyron de Pisant ; Coudon sur Armand ; Lonction fils ; Davarnet ; Hugon, neveu de Gibeine ; Lambert, fils de Matfrat ; Bernard-Jean, son frère ; Lonction, fils de Ript ; Ray, son frère ; Lambert, fils de Lambert ; Gontard ; Armand ; Gondrand ; Claire Atremond ; Héléazard, fils de Vingulf.
Fait et écrit par la main de moi Dom Durand, religieux indigne, le cinquième des calendes de juillet, un samedi, l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur J. C. neuf cent huitante-cinq, régnant Conrad, roi de France. - Extrait par vidi me. - Collationné par moi notaire royal au bailliage de Maconnais, résidant à la ville de Cluny, soussigné, sur un original en parchemin tiré du grand trésor de l'abbaye de Cluny, à moi exhihé et à l'instant retiré par le R. P. Dom Pierre Ducoin, religieux prieur à ladite abbaye de Cluny et un des garde-clefs des archives et trésors de ladite abbaye, pour valoir, ledit extrait, à ce qu'il appartiendra ce que de raison ; dont acte.
Fait à ladite abbaye de Cluny, le 13 avril 1725, s'étant le R. P. Dom Ducoin soussigné avec moi dit notaire. - Dom Ducoin ; Martin, notaire.
Contrôlé au bureau de Cluny, le 13 avril 1725. Reçu six sols. - Gaillet.

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